Martin Fayulu, l’homme qui avait “perdu” les élections congolaises de décembre 2018 avec 62% des voix. Sa victoire lui a été volée par un accord entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi, mais à l’approche des élections de 2023, il est plus combatif que jamais.
Sept semains avant le jour du vote en décembre 2018, Martin Fuyulu avait été nommé candidat aux élections présidentielles pour le compte de l’opposition unifiée.
A ce moment-là, très peu de Congolais en dehors de Kinshasa (où il vit) et de Bandundu (dont il est originaire), connaissaient le nom de Martin Fayulu. À l’étranger, si possible, il était encore plus anonyme.
Néanmoins, Fayulu a obtenu en 2018 62 % des voix. Parce qu’il était soutenu par des gens puissants comme Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, mais plus encore parce qu’il a parfaitement senti et interprété la frustration de la population dans sa campagne.
Pourtant, Fayulu n’est pas devenu président. Un accord entre Kabila et Tshisekedi a placé Tshisekedi dans le siège présidentiel et a fait en sorte que Kabila tienne les rênes en coulisse. Comme Kabila contrôlait la commission électorale et la cour constitutionnelle, ils s’en sont sortis. Mais : de nouvelles élections sont prévues en 2023. Nous avons parlé à Martin Fayulu.
Nous sommes à 14 mois de l’échéance constitutionnelle pour de nouvelles élections. De nombreux observateurs doutent qu’elles puissent encore se concrétiser à temps. Certains experts affirment même qu’il n’est plus techniquement possible d’organiser des élections avant la fin de 2023. Comment évaluez-vous les préparatifs ?
Martin Fayulu: Il n’y a pas beaucoup de progrès. Les élections sont mal préparées. Le pays a besoin d’élections libres, transparentes et crédibles, où les gens peuvent voter en toute sécurité. Mais vous pouvez déjà voir que Felix Tshisekedi se prépare à tricher.
Il travaille avec Kabila. Après les élections de 2018, ils ont formé une coalition entre leurs familles politiques respectives. Il y a deux ans, ils ont fondé l’Union sacrée de la nation, officiellement sans Kabila, mais beaucoup de ses associés en font partie. En coulisses, Tshisekedi et son prédécesseur cherchent des options de rester ensemble au pouvoir après 2023.
Qu’est-ce qui va se passer si les élections ne sont pas organisées à temps ?
Martin Fayulu: La constitution est claire. L’article 70 stipule que le président est élu au suffrage universel pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. L’une des conséquences de cet article est que, sans nouvelles élections, le président Tshisekedi devra partir le 23 janvier 2024.
Le même article précise également que le président sortant reste en fonction jusqu’à l’installation du nouveau président élu. Mais cela implique que ce dernier doit déjà avoir été élu. Si ce n’est pas le cas, la constitution dit qu’il doit partir.
Ensuite, un mécanisme doit être installé pour organiser des élections dans les trois mois, présidé par le président du Sénat. Mais comme nous avons un problème de confiance avec le président actuel du Sénat, nous proposerons qu’un membre éminent et respectable de la société civile soit le président de ce mécanisme. Qui ne pourra plus candidat lui-même par la suite.
Avez-vous quelqu’un en tête ?
Martin Fayulu: Pas vraiment. À un moment donné, beaucoup de gens pensaient que le Dr Mukwege pouvait le faire, mais il n’est pas certain qu’il se voit jouer ce rôle.
Serez-vous candidat aux présidentielles ?
Martin Fayulu: Bien sûr que je serai candidat. Mon parti, Engagement pour la Citoyenneté et le Développement (ECiDé) a tenu un congrès à Kisangani du 11 au 14 juillet. Le congrès m’a désigné comme son candidat pour l’élection présidentielle de 2023. Nous avons adopté un manifeste sous la devise Congo ekolo moko, ce qui signifie que le Congo est un et indivisible.
Qui sera votre adversaire principal ?
Martin Fayulu: Je n’ai pas d’adversaire principal. En 2018, j’ai gagné à 62 %. Je n’avais pas d’adversaires sérieux. Si le peuple congolais continue à penser ce qu’il a pensé en 2018, je n’ai pas grand-chose à craindre. Je ne vois aucun candidat aller à l’encontre de la volonté du peuple congolais. Je suis l’émanation de ce peuple…..
Les formations politiques qui sont entrées dans la dernière ligne droite des élections en 2018 ont perdu beaucoup de leur cohérence. Le paysage politique est devenu fluide ; la nouvelle constellation doit encore prendre forme. Sur qui pensez-vous pouvoir compter en 2023 ? Certaines des personnes qui vous ont soutenu ne sont plus de votre côté.
Martin Fayulu: En 2018, le peuple congolais a fait pression sur l’opposition pour qu’elle travaille ensemble. Sept familles politiques ont décidé de me présenter comme leur candidat. A peine un jour plus tard, Tshisekedi et Kamerhe ont quitté notre coalition.
Eh bien, le peuple ne les a pas suivis. Après les élections, Katumbi et Bemba se sont également retirés. Mais qui m’a permis d’arriver là où je suis aujourd’hui ? Pas eux, mais le peuple. Nous sommes ouverts à tous. Toute personne qui souscrit notre programme est la bienvenue.
Vous n’êtes plus avec l’ancien Premier Ministre Muzito?
Martin Fayulu: C’est dire : je n’ai jamais rompu avec Muzito. Je l’ai entendu dire des choses curieuses sur la radio internationale RFI, avec lesquelles je ne suis pas d’accord. Mais il n’est pas encore venu me voir. S’il a quelque chose d’important à dire, je l’entendrai de sa propre bouche, non ?
Après la caricature qu’on en a fait en 2018 : comment la population peut-elle encore croire que les élections sont un instrument de changement positif ? Comment allez-vous convaincre les gens d’aller voter malgré les risques sécuritaires?
Martin Fayulu: Nous devons convaincre les gens que nous sommes des démocrates qui respectent la constitution et les institutions. Il est clair que tout passe par les élections. Nous pouvons gagner si le processus électoral est libre et transparent.
On dit parfois que le peuple congolais est résigné, ne revendique pas beaucoup. Mais en 2018, le peuple a été traumatisé par la répression de Kabila. Nous avons organisé plusieurs manifestations. Des dizaines de personnes y sont mortes. Chaque fois que nous descendons dans la rue au Congo, les autorités sortent les armes et donnent l’ordre de tirer.
Nous continuons à dire au peuple qu’il n’y a pas d’autre voie pour nous que la voie électorale pour .accéder au pouvoir. Nous disons partout, aussi sur la scène internationale : ‘Vous ne pouvez pas soutenir quelqu’un qui est le produit d’un coup d’état. En janvier 2019, Kabila a commis le coup d’état qui a installé Félix Tshisekedi. Si quelqu’un volera la victoire du peuple, il faut que la population soit dehors, dans la rue. Nous donnerons les consignes.
Le potentiel de violence de rue entre 2015 et 2018 était très tangible, existe-t-il encore ?
Martin Fayulu: Du point de vue du peuple, ce n’était pas de la violence. La constitution dit que chaque Congolais a le devoir d’empêcher quiconque de prendre le pouvoir par les armes ou d’essayer de rester au pouvoir en violant la constitution. C’est un ordre constitutionnel.
La violence vient de l’autre côté. En ce moment, Tshisekedi et son UDPS organisent des milices à Kinshasa, Lubumbasi et ailleurs. Les personnes au pouvoir ont peur du peuple. Tshisekedi fait exactement ce que Kabila a fait. Nous devons faire comprendre à Tshisekedi que s’il continue sur la même voie, il comparaîtra tôt ou tard devant la Cour pénale internationale.
Comment allez-vous prendre en main les problèmes de l’Est ? Tout ce que Tshisekedi y entreprend échoue parce que lui et ceux qui l’entourent ont peu d’affinités avec la problématiques du Kivu ou de l’Ituri. Toutes les actions menées à l’est du Congo montrent qu’elles ont été définies par des personnes travaillant dans une perspective kinoise. Vous êtes aussi de l’Ouest. Comment allez-vous faire mieux ?
Martin Fayulu: Je vous ai dit déjà que le Congo est un et indivisible. Je ne suis pas de l’Ouest. Je suis congolais. Tous ces gens qui m’ont voté au Kivu, en Ituri, à Tshopo ou ailleurs l’ont fait parce que je suis Congolais. Il faut en finir avec la division de tout en Est et Ouest.
Kagame et Kabila ont placé Tshisekedi dans le siège présidentiel parce qu’ils voulaient éviter que le Rwanda n’a plus d’accès à l’Est du pays. Kagame veut balkaniser le Congo, en fonction de ses ressources naturelles. C’est pourquoi il conduit Tshisekedi et la RDC dans l’EAC.
Je ne travaille pas sur une stratégie pour l’Est. J’ai une stratégie pour l’ensemble du Congo. Nous voulons construire une maison durable avec quatre murs solides : l’État de droit, l’intégration territoriale, la cohésion nationale et la bonne gouvernance.
Article soutenu par le Fonds Pascal Decroos pour le journalisme spécial. Kris Berwouts fait une enquête sur l’alternance politique après les élections de décembre 2018.